jeudi 31 mai 2012


J’ai placé un petit morceau de charbon sur mon bureau. 

Tout dur, tout noir. Fossilisé. 

Je l’ai ramassé au sommet du terril du sept.  
Entre St Ghislain et Wasmes. 

Il a connu les profondeurs de la terre et je le retrouve au sommet du paysage. 
Là où je sens le soleil frais et le vent. L’humidité de la pluie qui va et vient ces derniers jours, aussi. Tout le contraire de la chaleur moite et constante qu’on doit retrouver dans les mines. Tout comme on ne la retrouve que dans les galeries de cavernes souterraines que j’ai pu explorer, durant mon adolescence, en faisant un peu de spéléo. 
Y’a aussi un paratonnerre au sommet. Enfin, je crois. Une simple tige de métal plantée verticalement dans le sol et qui doit attirer tous les éclairs de la région les jours d’orages borains. Je me demande ce qu’on peut bien y voir en ces moments là, 
au centre de l’œil du cyclone de Jeep Novak. 


Wasmes - Terril du 7  photo Andrea Van Leerdam

J’ai grimpé lentement la côte, ultra-raide, pour arriver au sommet. Carrément sur la pointe des pieds pour garder l’équilibre. Par jour de pluies violentes, il doit y avoir aussi des éboulements de pierres. On voit bien, sous mes pieds, les traces des coulées. Je remarque aussi des ornières de motos. A toute vitesse, plein gaz, peut-être doivent-elles grimper ? Ou descendre en relâchant les freins ? Très lentement plutôt. A la façon des motos de trial, peut-être. Vingt minutes de grimpettes environ, pour moi. Quand je m’arrête pour souffler, je pense à mes efforts. Importants déjà, sans doute, mais tellement moindres que ceux fournis par la multitude d’hommes et parfois d’enfants qui ont amassé ces résidus d’exploitations minières. L’aurait suffit d’un chouïa de plus de chaleur printanière pour que je commence, évidemment, à transpirer. Je m’assieds sur le sommet, dans l’herbe adoucissant cette montagne encore chauve. Les terrils, au loin, semblent bien plus touffus et plus anciens. C’est fort joli même. Avec tous ces bouleaux, l’arbre des chamans sibériens, et ces pins à grosses épines vertes. Presque noires tant elles sont épaisses et foncées.




Les bouleaux sont des arbres toujours éternellement jeunes. D’une vigueur extrême, ils ne vivraient pas davantage que 30 ou 40 ans, ai-je lu un jour dans un bouquin. Moins que la vie d’un être humain occidental en ce début de 21ème siècle. Ils sont souvent les premiers, d’ailleurs, à recoloniser un espace dont la nature apparente a été chassée par les hommes. Un jour, j’en ai replanté un dans mon jardin. Je l’avais trouvé en train de pousser dans une fissure, sur le goudron d’un toit en roofing. Dans la terre pleine, je m’étais dit, il ne demanderait pas son reste. C’est ce qu’il avait fait, bien sûr mon chouchou, quand je l’ai recroisé sur la terre granitique de la région de Rochefort où je l’avais fiché. Je l’ai revu en allant rechercher mon vélo dans cet endroit où je vivais alors dans la forêt. Je savais bien, beaucoup plus grand et toujours aussi souple, qu’il s’en sortirait de toutes façons sans moi. Adossés à un de ses frères borains, je zyeute, au bas, les labours encore vierges. Des veines de charbons, ou des coulées en provenance du terril, se dessinent langoureusement dans la terre alentour. De si haut, on ne peut manquer ces noirs louvoiements pourtant bien agricoles. Pour sûr, l’agriculture est tout aussi importante que l’industrie ou l’extraction minière dans la région.







Peut-être avez-vous suivi l’histoire de la nana qui a été séquestrée, torturée, tatouée au visage et violée dans les environs de Wasmes? J’ai retrouvé, ensuite, un de ses ex-voisins en continuant ma balade. « Ben oui, elle habitait juste là y’a quelques temps. Elle vivait de débrouille et de misère », m’avait expliqué le gars. Lui-même fils de mineur et surtout chômeur débrouillard à la petite semaine. Il élève seul ses deux filles dont la plus petite s’amuse, autour de nous, en lui mendiant une glace à la crème fraîche au passage du seul commerce visible à l’horizon. Hormis comme toujours dans la région, et partout ailleurs aussi, l’éternel et indispensable pharmacien. Dans cette ruelle en terre qui s’enfonce le long d’un terril, Gérard se soigne plus volontiers à la vodka. Thérèse, une habitante du quart-monde montois, en me parlant de ses désirs de déménagement dans la région, m’avait dit quelle espérait une maison dans un endroit sans voisins: « C’est trop difficile de s’entendre avec eux. Au début ça va, c’est gentil, mais après ça fait toujours des problèmes. » Avec un jardin pour son chien et une épicerie aussi, mais surtout une pharmacie à proximité.




Wasmes

Quoiqu’il en soit, c’est sûr et très visible, la campagne et les villages alentours sont jonchés d’innombrables canettes de bière et de cola toujours accompagnées de bouteilles d’alcool vides. Invariablement, les indispensables boissons énergisantes aussi. Les boites en alu demeurent là depuis tellement longtemps que certaines apparaissent carrément décolorées par le soleil et la pluie. Elles pénétreront à nouveau dans le sol d’ici un ou deux siècles, je suppose. Gérard avait ajouté « Y’a eu aussi, un peu plus loin, une femme égorgée et saignée aux veines par son mari pas plus tard qu’il y a trois semaines. Mais c’est pas ça, faut pas croire, on a bon cœur dans le Borinage, m’avait-il rassurée. Mais fais tout de même attention quand tu te promènes par ici, y’a des cités ici et là un peu partout. » Quand je lui avais demandé pourquoi il y avait tellement de maisons à vendre dans la région, il m’avait répondu : « Mais enfin t’es folle ou quoi ? C’est terrible de vivre ici. C’est ce qu’il y a de pire en Belgique. Dans aucun endroit y’a plus de misère qu’ici. Et maintenant peut-être que tu trouves ça calme mais, le soir, c’est souvent des cris, des coups, des violences et des disputes entre les gens. Y’a personne qui a envie de vivre ici. »

Remainder of a wild party on the terril

" Wild Party" by  LHOON

Philippe, le mari de Thérèse, m’avait confirmé que c’était la même chose, à Dour, durant son enfance : « On y allait carrément à coups de couteaux. » « Ca a changé aujourd’hui ? Non, c’est toujours pareil. » En jargon journalistique, à défaut d’être constatée de visu, c’est ce qu’on appelle une info recoupée. Enfin, pas constatée de visu… Quand je l’avais accompagné à la maison de son enfance, il avait tenté de sonner à la porte. Ca faisait douze ans qu’il n’avait plus posé ce geste. Apeurée, sa soeur lui avait tout bonnement claqué la porte au nez. Faut dire, il était en train de braver une interdiction de la police destinée à maintenir les membres de la famille à distance… Ca ne l’a pas empêché, ensuite, de m’emmener au cimetière pour visiter la tombe de sa mère. Il avait les larmes aux yeux en posant ses lèvres sur la photo à même la pierre. J’ai interrompu la visite, ensuite, quand j’ai constaté qu’il éprouvait beaucoup trop de difficulté à contempler la sépulture d’une de ses petites sœur décédée à l’âge de six ans: « Comme ça, son cœur s’est subitement arrêté de battre ». Thérèse, de même, embrassait avec ferveur les images, émaillées de noir et de blanc, en me soulignant ce qu’ils avaient sincèrement réalisé pour s’entraider. 


Pour arriver, malgré tout, à vivre ensemble.

Wasmes1



Texte: Linda Mondry

L’oeil du cyclone, tout est calme ici est un projet de documentaire, de web-documentaire, de livre  et de reportage initié par Jeep Novak et porté par le collectif d’artistes bruxellois Brussels is NDRGRND

Ce premier texte illustré est issu des enquêtes de terrain et des repérages dans la région de Mons-Borinage. Vous aurez ainsi, au fil de la réalisation, l’occasion d’y suivre nos découvertes et déambulations tout autant que le travail des différents collaborateurs. 


A suivre, donc…




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