mardi 22 mai 2012



«Les enfants du Borinage»: le questionnement d'un citoyen


Jeudi 28 octobre 1999

«Les enfants du Borinage»: le questionnement d'un citoyen




Les diffusions par la RTBF du documentaire intitulé «Les enfants du Borinage - Lettre à Henri Storck» que j'ai tourné il y a un an soulèvent depuis une semaine un certain nombre de prises de position dont la teneur ne cesse de m'étonner.
Le film dénonce une réalité sociale abominable mais un certain débat politique tendrait, me semble-t-il, à faire croire que c'est le film (et l'image d'une région qu'il véhicule) qui est détestable, odieux, ou répugnant, et non la réalité elle-même qui y est dénoncée. Le film détruirait l'image d'une région et découragerait les investisseurs à venir y créer des emplois.
Le film montre une misère sociale extrêmement violente qui touche une population de plus en plus importante dans tout le monde occidental. Au Borinage, ce sont les charbonnages qui ont fermé, abandonnant une main-d'oeuvre nombreuse et non qualifiée. Des familles entières se sont donc «désaffiliées» de la société dans le sens où elles font toujours partie de sa structure (elles ont un domicile, un numéro de registre national, l'obligation de voter, des compteurs d'eau et d'électricité...) sans plus y avoir aucune utilité. Des familles n'ont parfois pas travaillé depuis trois générations. Elles vivent dans des conditions de survie, accrochées à un goutte à goutte social. Mais la face la plus profonde de leur misère est mentale, c'est ce que tente de démontrer le film (une bibliothèque entière a déjà été écrite sur le sujet): le niveau d'instruction de ces personnes est tombé au plus bas. La différence de culture entre l'école et la famille (où l'on sait parfois à peine lire) provoque un retard des enfants que l'on a alors vite fait de considérer comme limités ou parfois même handicapés mentaux alors qu'il n'en est rien. Ces familles connaissent des problèmes psychologiques liés à leur condition de vie et leur absence de projet (violence, alcool,...). L'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants est totalement inexistant puisqu'ils ont intégré qu'ils étaient inutiles, incapables, voire nuisibles. Ils sont loin d'une phase de révolte, à la limite ils s'excuseraient bien d'exister.
On voit bien que les enfants qui naissent dans de tels milieux n'ont absolument aucune chance d'en sortir sans une volonté féroce extérieure qui, pour le moment, n'existe pas. Des associations tentent d'aider au mieux ces familles d'un point de vue souvent matériel mais la reproduction du schéma social qui existe dans 90 % des cas est avant tout mentale, avant que d'être économique. On est donc pauvre de génération en génération. Et c'est le système de société que nous connaissons aujourd'hui qui permet ces phénomènes et les laisse faire tache d'huile vers les couches supérieures de la pyramide sociale. Il ne s'agit plus de phénomènes marginaux.
En effet, la société pan-capitaliste néolibérale qui s'impose à l'ensemble de la planète permet au détenteur du capital de rentabiliser ses avoirs sans mesurer les conséquences pour les autres habitants de la planète. Dans les années trente, l'introduction du marteau-piqueur a permis, dans certaines mines boraines, de licencier plus de la moitié des ouvriers. On a ensuite fait venir une main-d'oeuvre immigrée, non pas parce qu'elle faisait défaut ici mais parce qu'elle était plus docile et meilleur marché ailleurs, où les populations étaient encore plus pauvres, permettant une meilleure rentabilité aux propriétaires des mines. Enfin, les mines ont fermé, non parce que le charbon faisait défaut mais parce que les conditions de production le rendaient moins cher ailleurs.
Depuis, la spéculation a été inventée, on n'investit plus pour des années mais pour quelques jours, parfois quelques minutes. Elf, Renault, Michelin et autres licencient, non parce que les conditions de fabrication le demandent, mais parce que les actionnaires veulent voir le cours monter, quelles que soient les conditions de production. La compétition internationale est devenue plus large et plus sauvage. Les Etats font cadeaux sur cadeaux aux entreprises, les suppliant de venir s'implanter sur leur territoire et d'y créer quelques emplois, leur promettant des primes, réductions des charges et autres. Pendant que le tiers-monde leur tend une main-d'oeuvre quasi gratuite.
Pendant ce temps, l'investissement de la collectivité en termes d'éducation, d'instruction, de santé recule comparativement. Pourquoi d'ailleurs instruirait-on au mieux toute une population dont la main-d'oeuvre est devenue inutile? Il suffit de lui apprendre le minimum nécessaire pour consommer: lire, compter et maintenant utiliser Internet. On réduit donc les chances des enfants des «désaffiliés» de sortir de l'engrenage social. On refuse de repenser le rôle de l'école au sein de la société. Le citoyen, en ce compris l'élu local, comprend de moins en moins la réalité sociale et économique qui l'enserre. On peut donc culpabiliser la population de plus en plus importante qui court derrière le convoi et à qui on jette des miettes.
Voilà ce que montre le film. Il n'est qu'un thermomètre subjectif d'un corps malade. C'est à la maladie, me semble-t-il, qu'il faut s'en prendre. Voire au médecin.
Le film découragerait les investisseurs étrangers? Mais pourquoi viendraient-ils investir au Borinage? Ne sommes-nous pas passés dans une société post-industrielle? Qui a encore besoin ici d'une main-d'oeuvre non ou mal formée en grand nombre quand elle est moins chère ailleurs? Qui va installer des ateliers de technologie de pointe dans un univers complètement délabré? Qui, dans une population mal formée, dont les capacités intellectuelles sont détruites par les conditions de vie et par le système de société lui-même (la consommation, le système scolaire injuste, la télévision...), créera une PME ou sera capable de s'y adapter? Il faut croire, comme les néolibéraux, que le marché arrangera tout ça, ou bien il faut investir collectivement dans la possibilité de casser la reproduction du schéma social des enfants des «désaffiliés». De leur permettre de lire, d'écrire et de compter bien sûr, mais aussi et surtout d'être polyvalents (comme un être humain et non une machine) et de comprendre le monde dans lequel ils auront grandi, d'un point de vue politique, économique... Et donc d'être des citoyens participant à la vie collective et professionnelle mais surtout faisant des choix en connaissance de cause et non selon le discours de l'un ou l'autre candidat politique qu'il faut croire sur parole. De s'assurer qu'ils ont reçu suffisamment d'armes pour utiliser leur esprit à se tenir debout et libres.
Même si c'est aux dépens du détenteur du capital?
Qui représentera les enfants du Borinage, le mois prochain à Seattle, lors du prochain round de l'Organisation mondiale du commerce? Là où certains se préparent à imposer la libéralisation (c'est-à-dire la rentabilisation) de l'instruction et de la santé?
J'en suis convaincu, mon film n'aura freiné aucun investisseur. (L'image d'une région n'est-elle d'ailleurs pas véhiculée par ses représentants élus?) Il ne représente que le questionnement d'un citoyen inquiet, et parfois révolté et à qui l'on tarde à répondre.

PATRIC JEAN
Réalisateur


Les enfants du Borinage doivent rigoler


Mercredi 17 novembre 1999

Les enfants du Borinage doivent rigoler!!!

Violemment critiqué par Yvon Biefnot pour son film «Les enfants du Borinage», le réalisateur Patric Jean n'avait pas hésité à mettre le bourgmestre de Colfontaine au défi de porter l'affaire devant les tribunaux. C'est fait: Biefnot a demandé à son avocat d'intenter une action au civil pour les préjudices moraux, intellectuels et politiques subis lors de la diffusion du moyen métrage par la RTBF. Le premier des Colfontainois estime qu'il a été abusé par le cinéaste, que ses propos - le mémorable Les gens d'ici font la gueule - ont été détournés, sortis de leur contexte et ne correspondent pas à la pensée profonde de l'ex-président du parlement wallon.
Notons toutefois que les déclarations maïorales ont fait l'objet de deux prises et que l'interviewé, qui n'en était tout de même pas à son premier entretien du genre, a répété les propos déjà tenus avant la panne de micro. Mot pour mot. Comment plaider l'effet de surprise?
Le meilleur est à venir: vendredi, Patric Jean recevra le très officiel prix du Hainaut réservé à la création audiovisuelle. Une consécration pour le cinéaste. Une gifle pour l'homme politique. Une récompense qui salue l'utilité de la démarche de Patric Jean et rend bien futiles les gesticulations d'Yvon Biefnot.



«Madame X» peut remercier Colfontaine


Mercredi 15 décembre 1999

«Madame X» peut remercier Colfontaine!

Les autorités de Colfontaine ne digèrent pas la diffusion sur les écrans du film «Les enfants du Borinage» de Patric Jean. Il est vrai que pas mal de séquences ont été tournées dans l'entité boraine et que les déclarations «face caméra» d'Yvon Biefnot, le bourgmestre, et d'Yvon Draux, l'échevin des affaires sociales, sont au centre de tous les débats.
Les deux élus n'en finissent pas de chercher à se justifier, d'agiter des menaces revanchardes à l'égard du réalisateur et surtout de prendre pour eux les accusations illustrées par le film. Quand comprendront-ils que Patric Jean dénonce la misère humaine et non pas la situation sociale à Colfontaine, l'incapacité de notre société à éradiquer ce mal et non pas la politique menée par telle ou telle commune?

Dernier exemple en date: l'échevin Draux a écrit une longue lettre au bourgmestre Biefnot - qui a fait suivre à tous les conseillers - pour lui résumer la situation exacte de cette maman et de ses quatre enfants qui, dans leur logement en ruine, tiennent la «vedette» du moyen métrage de Patric Jean. Mais de quoi se plaint-elle cette «Madame X», comme l'appelle l'élu? On lui trouve des allocations à la pelle (veuve, handicapée, orphelin) au moment du tournage, puis un appartement social au Foyer hornutois. Mieux: elle n'a pas échappé aux services de l'ASBL communale «Intégration sociale»: resto, lavoir, vestiaire, ... L'honneur est sauf! Conclusion de cette enquête ahurissante, indécente: sur ce coup-là, Colfontaine n'a rien à se reprocher!

Mais pour une «Madame X» qui respire (un peu), combien de «Monsieur Y» et de familles «Z» à ranger du côté des enfants du Borinage? A Colfontaine ou ailleurs.

ERIC DEFFET

Hallucinant non???


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1 commentaire:

  1. Je viens de voir le documentaire de Patric Jean qui m'a bouleversée. Les dires des édiles communales me laissent pantoise. Je suppose qu'actuellement rien n'a changé. La misère est toujours aussi présente. Que faire ? On se sent tellement démuni face à tout ça et pourtant je suis persuadée qu'il y a, qu'il y aurait beaucoup beaucoup à faire. Et notamment changer le regard des autres "il n'y a plus de pauvres en Belgique" !!!!!!!!!!!!! La cécité de ces gens-là est terrible ...

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