lundi 21 mai 2012


Patric Jean

Après le retentissement qu'a eu son film Les enfants du Borinage, Lettre à Henri Storck (une féroce polémique parmi les notables montois, les services sociaux, certains caciques politiques et les hérauts d'une l'image pieuse dela ville fracassée ! Seigneur Jésus !), on s'attend a rencontrer soit un militant en colère prêt à défaire le monde avant de le refaire soit un réalisateur que le battage médiatique (la presse l'a couvert d'éloges) a rendu prétentieux.  Pas du tout. 
Jean PatricOn découvre un mec à la coule, réfléchi, avec plein de malices dans son sac (si on ne peut plus se fier aux clichés, où va-t-n ?  Je vous le demande ! Surtout quand on saisit des instantanés comme votre serviteur, Damned ! Devil !) Un mec cool, donc, né à Mons en 1958 (année de la contestation), d'une mère cantatrice d'opéra et d'un père ouvrier qu'il a perdu à l'âge de deux ans. Sa mère devenue enseignante auConservatoire de Bruxelles, Patric Jean la suit dans la capitale. Adolescent, il est attiré par le métier de comédien, suit des cours d'art dramatique tout en étant fasciné par certains films de Roman Polanski comme Le Locataire, ou Un, deux, trois, soleil de Bertrand Blier. Parallèlement au Conservatoire, il poursuit des études de philologie romane (Mémoires de linguistique sur les adverbes en ment). Il entre à l'INSAS et réalise en 1995 Intra-muros, un premier court métrage de 6' inspiré de l'univers de Beckett avec Alexandre Von Sivers et Jacques de Bock, suivi, deux ans plus tard, par La conquête du Pôle Sud, un film de 25' basé sur une pièce de Manfred Karge, " l'histoire de mineurs au chômage qui se mettent à rêver dans un grenier pour fuir la laideur de leur quotidien et revivent les exploits d'Amundsen, l'homme qui a découvert le Pôle Sud . C'est une confrontation brutale entre la réalité et l'imaginaire ". Pendant ses années INSAS, il participe à une association d'aide aux sans-abris qui édite le mensuel Nemo. Une expérience qui l'initie à la problématique sociale. Kemal Dehane, dont il est l'assistant sur l'un de ses films, lui parle d'une série que le CVB veut produire sur le thème de l'utopie. Il se souvient du choc qu'avait été, pendant ses études à l'INSAS, la projection de Misère au borinage, le film de Storck et Ivens, lui qui connaît bien la région. " A dix huit ans, j'ai travaillé comme chauffeur-livreur à Saint-Ghislain, nous explique-t-il. Je sillonnais la région en camionnette et j'avais été frappé par cette misère hallucinante qui existait près de chez moi. Ce qui était le plus frappant, entre l'époque de Stork-Ivens et la nôtre, c'est l'absence d'utopie ". Un premier film tourné sur place lui fait comprendre que le sujet mérite d'être développé et pas seulement d'être inséré dans une série thématique. Ce sera Les enfants du borinage, Lettre à Henri Storck, un film de 54'. " Les gens ne voulaient pas parler, se détournaient de nous lorsqu'on s'approchait. On commençait à être découragés. Le voisin d'une maison qu'on croyait abandonnée nous explique qu'il y a une dame qui y habite avec quatre enfants dont l'aîné à onze ans ! La dame arrive un peu par hasard et j'ai la sensation qu'elle ne comprend pas ce que je voulais faire même en lui parlant en patois local. On a tourné un plan où on la voit de dos avec ses enfants et où elle nous regarde comme des ovnis, des êtres venus d'ailleurs ! J'ai essayé de demander des explications à Émile, le voisin. Après quelques hésitations, il a commencé à parler pendant plus de trois quarts d'heure, quasi impulsivement. On s'est confronté au sous-analphabétisme, avec les problèmes psychologiques qu'il engendre. Cette dame ne pouvait pas comprendre ce qu'on lui voulait pas plus qu'elle n'est au courant de ses droits parce qu`elle est incapable de déchiffrer les formulaires administratifs. Dans la région, le chômage atteint des taux records (42% de la population d'une des communes est sans-emploi) ". Le film a provoqué de violentes réactions. Patric Jean assume la polémique sans problème et enchaîne avec Traces, un court métrage consacré à l'univers du peintre Didier Mahieu où il évoque en un peu moins d'un quart d'heure le processus de création de l'artiste. (cf. webzine n° 45). Il sera en compétition pour le prix Henri Storck au Festival International du film de Bruxelles. Par ailleurs, Patric Jean a le projet de tourner une suite aux Enfants du borinage, " consacrée à la violence sociale faite aux enfants d'immigrés et le traitement carcéral dont ils sont les premières victimes, sous forme de carnet de voyage ".

Texte et photo de Jean-Michel Vlaeminckx 

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